La société ? C’est nous.
Comment pourrais-je rester les bras croisés, lorsque je lis sur certains sites des dizaines de questions posées par des internautes en souffrance, à un médecin qui semble maitriser les dosages de cannabis nécessaires à l’atténuation des douleurs de ces patients ?
Pour exemple, il y a trois jours, une dizaine de patients demandaient conseil à ce médecin : une opération de la hanche, une spondylarthrite ankylosante, des kystes au pancréas…
Je pense au parcours de ces gens-là ; comment sont-ils arrivés au constat que les médicaments qu’ils avalaient au quotidien ne leur convenaient plus ? Comment sont-ils arrivés à se demander si le cannabis ne les aiderait pas à atténuer leurs maux ? Comment ont-ils atterri sur ce site-là ?
Je vois des gens en souffrance d’un courage inouï. Des gens qui, à un moment donné, ont compris qu’il leur fallait faire un choix, celui de se soigner à leur manière.
Je militerai toute ma vie pour que chacun puisse se soigner dignement, sans jugement.
Je venais de raccrocher avec le tenancier d’un growshop[1] parisien, aux critiques élogieuses sur Google. En effet, les informations données sur Internet ne suffisent pas lorsque l’on souhaite se soigner de la manière la plus pure possible. Pour la première fois, le feeling fut bon, j’irai le rencontrer, il a l’air de maitriser son sujet et surtout il ne semble pas être ennuyé que les effets du THC ne soient pas ceux que je cherche à ressentir.
Parce qu’en plus d’être une handicapée invisible, une « entre-deux », je suis aussi une fumeuse « entre-deux ». Une fumeuse-ou plutôt vapoteuse- de cannabis, mais sans THC.
Je me vois alors jugée par les non-fumeurs, pour qui le mot cannabis est un gros mot qui vous range dans la case des voyous mal dans leur peau, mais également par les vrais fumeurs de joints qui ne comprennent pas pourquoi je m’embête à rechercher de la « beuh » sans THC. Car : « tant qu’à fumer, autant en ressentir les effets ». Et bien non. Je n’ai pas besoin, ni envie, de « planer à quinze mille », j’ai juste besoin de moins souffrir. Et mon bonheur, mon côté léger, se trouveront dans cette ataraxie. J’ai besoin d’être pleinement moi-même, par moi-même pour moi-même, je n’ai nullement envie qu’une molécule ingérée vienne faire écran à mon moi profond.
Pourtant, Dieu sait s’il aurait été plus simple de fumer, comme tout le monde, des joints classiques de cannabis. Autrement dit, des joints au fort taux de THC, aux effets psychotropes, donc.
Il m’aurait fallu passer un, deux, trois coups de fils et je serais déjà en train de tirer sur mon « pétard ».
Au lieu de cela, cela fait deux jours que je fais des recherches, envoie des mails et passe commande pour tout ce qui pourrait me convenir. Autrement dit, je lutte pour atténuer mes douleurs de la manière la plus pure possible me permettant de poursuivre mes activités de la manière la plus lucide possible. Sans douleur mais aussi sans psychotrope.
Et cette lutte est semée d’embuches. Les commandes restent coincées à la douane, les taxes d’import sont colossales, les questions envoyées à chercheurs, addictologues… relatives au dosage, restent sans réponse, les lois et discours s’emmêlent, le sujet est plus que jamais tabou, je suis dans la légalité mais rien ne m’empêcherait de passer une nuit au commissariat afin que des prélèvements soient faits sur mon chanvre sans THC, soit mon herbe légale.
Il me semblait que le procès du premier de mes fournisseurs, Kannavape, aurait eu pour effet un débat réel sur le cannabis médical. Il a eu l’effet inverse : depuis plusieurs semaines, les contrôles douaniers sont resserrés, plus que jamais mon avenir sans douleur est incertain.
Voilà pourquoi je me suis vue hier acheter 15 cartouches de e.liquid qui ne me conviennent pas plus que cela, car réduites en CBD ( 5% au lieu des 7%), et 3,3g d’herbe à 11% de CBD pour les cas de grande nécessité. Mais je n’ai jamais su rouler une cigarette classique, alors m’imaginer regarder mon pochon de chanvre, sans savoir comment le fumer lorsqu’une crise pointera le bout de son nez, prête à sourire.
Pourtant, je n’ai pas le cœur à rire.
Cela fait à peu près un an que vapoter (et être suivie par un étiopathe) est/sont le(s) seul(s) remède(s) à mes maux. Et en une année il m’aura fallu changer deux fois de « traitement ».
La première fois, lorsque je souhaitais renflouer mon stock de cartouches de Kanavape, je fus informée de la fermeture de leur entreprise. Je passais alors la nuit sur Internet à chercher un remède du même acabit. Je découvris la marque Cannaliz qui semblait tout aussi fiable. Je me fournis.
Mais lorsque j’ai voulu me fournir de nouveau chez Cannaliz cette semaine, je n’ai pu racheter les mêmes cartouches de CBD. J’ai alors dû passer de 7% à 5%. Les explications de l’entreprise ne m’ont pas vraiment convaincue, d’autant plus que, allez savoir pourquoi, les cartouches dosées à 18% de CBD n’ont jamais pu être ajoutées à mon panier français, quand bien même elles sont légales, puisqu’au taux de THC inférieur à 0,2%.
Le taux de CBD serait-il alors restreint pour les exportations en France ?
Pourtant, j’ai pu acheter de l’herbe à 11% de CBD sur un autre site : CBD420 sur lequel Vice a publié, il y a quelques semaines, une interview d’un de ses fondateurs. Je fus malgré tout étonnée de ne pouvoir régler ma commande par carte, mais par Bitcoins ou par virement bancaire. Fort heureusement, ma banquière a accepté d’effectuer le virement sans s’inquiéter de la raison sociale de son destinataire. Mais aurai-je toujours cette vaine ? Rien n’est moins sûr.
À l’heure où Etat après Etat, le cannabis se légalise, la France semble fébrile. Emmanuel Macron, interviewé peu avant sa victoire à la Présidentielle, ne semblait pas opposé à son débat.
Une année pourtant se sera bientôt écoulée, la question n’est toujours pas posée et un lourd procès a débuté. Kanavape sera probablement condamné pour incitation à la consommation de cannabis, quand un de ses fondateurs, prônait les effets relaxants de ses produits légaux.
Quand certaines études démontrent le lien entre la prise de Stilnox et la maladie d’Alzheimer, on se demande comment il est possible que des laboratoires puissent défendre les effets endormissants de tels médicaments sans risquer la peine de prison avec sursis. ( Cf. verdict « Kanavape ».)
Comme tout consommateur de CBD, j’ai donc recherché quelle était la loi actuelle en matière de cannabis. On peut lire sur le site Newsweed : « Il est illégal de vendre ou d’acheter des graines de cannabis. Les produits au chanvre (-0.2% de THC) sont légaux, mais certains « hemp shop » sont incriminés car présentant le cannabis sous un jour favorable. »
Je suis alors confortée dans mes choix d’achats. Ce que je vapote est bien légal.
Je peux aussi lire que certains députés appellent à une « légalisation contrôlée » du cannabis afin de lutter contre les trafics qui « gangrènent de nombreux quartiers ». Je n’ai pas d’avis à prononcer sur cette question. Mais je sais que peu sont ceux qui se demandent ce que nous faisons des malades qui ne peuvent se soigner sans faire face à ces nombreux obstacles.
Ce que je sais aussi, c’est que la loi est le reflet de la société. Une proposition ou un projet de loi ne sort jamais d’une idée d’un(e) ministre ou d’un(e) député(e) qui se serait levé(e) du mauvais pied. Elle se pose parce que la société l’impose.
Quant à moi, la question de savoir quand je sauterai le pas, quand j’achèterai enfin un vrai vaporisateur- le Mighty- quand je ne fumerai plus que de l’herbe sans THC (donc légale) mais qui sentira aussi fort qu’une herbe illégale, quand j’assumerai le risque de passer une nuit en garde à vue et quand le regard des gens dérangés par l’odeur de mon médicament ne me dérangera plus, réside.
Militer ce serait ça. Ce serait affirmer que je suis dans la légalité, ce serait oser ne plus me cacher. Ce serait oser laisser mon vaporisateur et ses cartouches toutes faites dans mes tiroirs, ce serait sortir dans la rue avec mon Mighty (de la taille d’un gros smartphone), ce serait m’asseoir à la terrasse d’un café, prête à m’assumer.
[1] Magasin spécialisé dans la vente de matériel hydroponique.